Un grand nom de la Danse et un maître incontesté pour ceux qui ont eu le privilège de naviguer à travers leur Art sous son autorité bienveillante.
Un chorégraphe inspiré et un artiste habité.
Un interprète transfiguré par le personnage qu’il incarne.
S’il jouait Napoléon, il était Napoléon. Si c’était un pharaon, il devenait Pharaon, et dans Icare, il brûlait ses ailes dans le soleil et, symboliquement, il mourrait sur la terre, dévoré par son ambition de s’élever au-dessus des possibilités humaines. A ce propos, on peut parler de son côté mystique, qui risque d’échapper à ceux qui l’ont connu superficiellement, car dans ces moments de transfiguration, le mystère d’avoir une autre vie intérieure impalpable le submergeait. Il vivait alors intérieurement et détaché du monde. A l’occasion d’une tournée en Egypte, nous étions tous les deux à l’intérieur d’une pyramide et nous restions songeurs en contemplant l’excavation qui avait contenu le sarcophage d’un pharaon et comme Lifar ne disait rien, apparemment subjugué par le mystère qui règne dans cet endroit, je cassais le silence en disant «Maître, votre place est ici». Il me regarde alors et me dit «vous croyez Labis, vous croyez». A ce moment-là, il était le pharaon. Chacun voit un personnage avec ses propres critères et ses propres souvenirs.
Personnellement, j’ai le souvenir d’un être charmant avec une gentillesse et une bonhomie parfois touchante et une façon poétique de parler de la Danse, comme par exemple, la qualité du toucher de la pointe du pied d’une ballerine sur le sol. Danse dite classique, Art universel. Il attachait une grande importance à l’avènement de cette invention française qu’est la Danse classique, qu’il sublimait avec emphase.
Un jour, il me disait «les Italiens et les Russes ont des tempéraments intéressants pour la Danse (il voulait parler des extrêmes qui caractérisent l’extrême sensibilité et l’extériorisation passionnée parfois incontrôlable) mais vous, les Français, vous avez quelque chose qui est rare et que personne n’a : c’est le sens de la mesure». Il ne parlait bien évidemment pas de la musique, mais du geste précis, là où il faut qu’il soit pour préserver l’équilibre et le sens du mouvement. Il avait le génie de ne jamais s’oublier à l’occasion d’une dédicace. Il m’avait dédicacé une superbe photo dans son Gisèle des années 30 «À Attilio Labis, magnifique Albert Loïs aux traditions lifariennes.» C’était un généreux compliment pour moi, mais pour lui également.
Lifar était un scientifique de la scène, avec une connaissance parfaite des Artistes qui doivent être dans tel ou tel rôle. Et quand il n’était pas content après les Danseurs qui avaient raté leur entrée ou manqué la musicalité, il leur disait et c’était la suprême insulte, «allez danser à Angoulême». Pour lui, Angoulême était la pire province qu’il soit et pourtant, un jour, avec un déplacement de l’Opéra de Paris, il s’est produit à Angoulême plusieurs années plus tard. Lifar, c’était le développement de l’instinct devant la pensée, de l’esthétique devant le placement, alliés à la connaissance et à la maîtrise de son Art.